Espaces verts, murs, clôtures, sous-sols, parking souterrains… Bien que petites, les surfaces que l’on pourrait utiliser pour l’agriculture urbaine sont nombreuses à Paris. Avec seulement 10% de ce foncier inexploité, 20 000 exploitations viables pourraient être créées.
50 mètres carrés : c’est la surface utile en maraîchage traditionnel pour alimenter une personne en fruits et légumes. Si l’on voulait assurer l’autosuffisance en fruits et légumes frais de la population parisienne, il faudrait mettre en culture pas moins de 11 000 hectares. Il faudrait aussi prévoir 5 000 hectares pour la main d’œuvre non-résidente. Cela reviendrait à cultiver 1,5 fois la surface de Paris. Dans un rapport intitulé « Une agriculture urbaine à Paris – Eléments de réflexion en quelques chiffres », l’Apur (Atelier Parisien d’Urbanisme) analyse les conditions dans lesquelles une agriculture urbaine pourrait se développer dans Paris.
L’Apur rappelle tout d’abord que l’accès au foncier constitue un premier frein aux porteurs de projets. Le foncier disponible est en effet très morcelé et complexe à identifier. « Les surfaces permettant la culture de pleine terre sont rares à Paris. Pourtant 12 hectares sont déjà cultivés au sol, soit près de l’équivalent du parc Montsouris. Parmi ces espaces, on compte : 102 jardins partagés (55 000 mètres carrés), une ferme de 50 000 mètres carrés dans le bois de Vincennes et 5 000 mètres carrés de vignes (Montmartre, parc de Bercy, Parc Georges Brassens, Bagatelle, Parc de Belleville…) », note l’Apur dans son étude.
Espaces verts et de voirie pour faire de la ville un verger
Dès lors, comment gagner du terrain sur la ville, comment créer de nouvelles surfaces où cultiver fruits et légumes ? En exploitant les espaces verts disponibles, par exemple. « À Paris, ce sont 580 hectares de parcs et jardins publics (hors bois), 83 hectares d’espaces verts des grandes institutions et 38,5 hectares d’espaces verts en projet ou à l’étude qui pourraient ainsi être partiellement mis à contribution pour des productions maraîchères, ruches, petits élevages ou jardins partagés », analyse le rapport.
Les espaces publics de la voirie sont de potentielles autres surfaces exploitables. Il existe ainsi à Paris 200 hectares de places de stationnement de surface, 190 hectares d’îlots de voirie de plus de 50 mètres carrés (terre-pleins, séparateurs, ronds-points…), 547 places et placettes publiques, 600 voies peu circulées (impasses, passages et villas) et de nombreux retraits d’alignements. Le rapport cite deux exemples historiques : « À Cuba, sous l’embargo américain, ce sont les stationnements de surface qui les premiers ont été mis à contribution pour nourrir les habitants. À Paris, pendant la seconde Guerre Mondiale, les terre-pleins de l’avenue Foch étaient cultivés pour alimenter les Parisiens », rappelle l’Apur.
Ces espaces, à la portée de tous, pourraient devenir les supports de potagers partagés, gérés notamment par les riverains par le biais du « permis de végétaliser ». Ils peuvent également voir naître un vaste verger urbain, comme a entrepris de le faire la municipalité de Barcelone en plantant des arbres fruitiers parmi ses alignements d’arbres existants ou la municipalité de Katoomba, près de Sydney, en plantant 20 000 noisetiers dans les rues. « À titre d’exemple, le stationnement de surface à Paris couvre un espace équivalant à celui d’un verger de 20 000 arbres », peut-on lire dans le rapport de l’Apur.
Les toits : autre gisement à exploiter
Les toitures sont, elles aussi, des espaces propices à la végétalisation. « 80 hectares de toitures présentent aujourd’hui à Paris un fort potentiel de végétalisation, du fait de leur surface disponible et de leur couverture pouvant accueillir une épaisseur minimum de substrat suffisante au développement d’une végétation herbacée », détaille le rapport.
Dans le cadre des appels à projets lancés par « Les Parisculteurs », un certain nombre de projets concernant des toitures ont été créés. C’est le cas notamment du verger inauguré en 2018 sur le toit de l’Opéra-Bastille. 2 500 mètres carrés de plantes potagères sont ainsi cultivés par l’entreprise Topager, lauréate de la première saison des Parisculteurs.
La Maison d’agriculture “BienÉlevées”, créée par quatre sœurs, s’est spécialisée, elle, dans la culture du Crocus sativus. Le pistil de ses fragiles fleurs violettes offre la plus rare des épices : le safran. La première safranière qu’elles ont installée à Paris a vu le jour au cœur de l’Institut du Monde Arabe. Dans le cadre des Parisculteurs, elles ont remporté l’exploitation des presque 2 000 mètres carrés de toitures du Monoprix Bièvre dans le 13e arrondissement.
Le projet « Cultures forestières » de la société d’agriculture urbaine Cultures en ville propose, de son côté, l’installation d’une micro-forêt comestible sur la toiture Poste Immo Magenta. Ce projet expérimental et innovant, réalisé en partenariat avec AgroParistech, permettra la création d’un îlot de biodiversité de 650 m² dont la production complètera les paniers de fruits et légumes frais vendus en direct sur la toiture, en vis-à-vis, de la médiathèque Françoise Sagan (Paris 10e).
Murs, clôtures, sous-sols et parking souterrains : un potentiel foncier à ne pas négliger
Les murs et clôtures présentent également un réservoir de surfaces cultivables. « On recense aujourd’hui plus de 250 km de murs et clôtures entourant les écoles, les terrains de sport et les cimetières, et plus de 2 000 km de murs et murets sur l’espace public, dont 30 km le long des berges de Seine. À cela s’ajoutent les 3 200 murs pignons sur rue existant à Paris et les bâtiments et équipements en projets ou à l’étude, pour lesquels le PLU de Paris favorise la végétalisation des façades », note l’Apur dans son rapport. Les murs sont exploités depuis des siècles pour la culture d’arbres fruitiers et le forçage des cultures maraîchères. En 1870, les 600 km de murs à pêches de Montreuil produisaient 17 millions de fruits par an.
Une autre source de foncier à explorer se situe dans les sous-sols de la capitale. Certaines cultures (notamment les brasseries ou la culture des champignons) peuvent en effet tirer profit de situations souterraines. « Une partie des 770 hectares d’anciennes carrières de calcaire grossier sous Paris, situés sous les 5e, 6e, 12e, 13e, 14e, 15e et 16e arrondissements, pourrait voir se développer de nouvelles champignonnières, notamment à proximité de leurs entrées », déclare l’Apur.
Le rapport note également que les parkings souterrains sous-exploités, les stations de métro désaffectées et autres tunnels de voirie déclassés constituent un autre gisement de surface à exploiter.
« Bien que Paris offre principalement des petites surfaces à l’agriculture, ces surfaces sont nombreuses et s’il était possible de mettre en culture 10% du potentiel décrit ci-dessus, cela permettrait de créer près de 20 000 exploitations viables (selon une étude menée à la ferme du Bec Hellouin en 2015) et de produire environ 60 millions d’équivalent repas / an, en considérant une productivité moyenne de 6 kg/m2 », conclut l’Apur.