A la veille d’un déconfinement qui s’avère on ne peut plus complexe à mettre en œuvre car à géométrie variable, nous prenons collectivement conscience que le « monde d’après » sera fondamentalement différent de ce que nous avons vécu jusqu’à présent.
Nous avons en effet pris, au cours des dernières semaines, de nouvelles habitudes matérialisées par les désormais très célèbres « gestes barrières » et la distanciation sociale. Ces habitudes ont de fortes chances de rester ancrées dans notre vie quotidienne pendant de nombreux mois encore, voire de nombreuses années.
METTRE EN PLACE UNE TRAÇABILITÉ, OUI, MAIS PAS À N’IMPORTE QUEL PRIX
« La crise sanitaire liée au Covid-19 va tout d’abord imposer de gérer le nombre de personnes présentes dans les bâtiments, afin de faire respecter les consignes de distanciation sociale. On va ainsi devoir identifier et compter celles et ceux qui pénètrent dans un bâtiment », déclare Emmanuel François, Président de la SBA (Smart Buildings Alliance for Smart Cities).
Mais selon Emmanuel François, cette traçabilité ne doit pas se faire n’importe comment, au risque de voir se reproduire des réactions de rejet telle que celle dont a fait l’objet le compteur Linky auprès des Français. « Il faut une traçabilité gérée par les utilisateurs, où les données sont stockées dans les terminaux (objets connectés, smartphones…) ou dans le bâtiment lui-même, et non dans un cloud dont on ignore tout. Les opérateurs de services externes ne peuvent accéder à ces données – anonymisées – qu’après autorisation et selon des protocoles contractualisés », note le Président de la SBA.
« Il est également important de définir des règles éthiques d’utilisation de cette traçabilité, qui doit être avant tout volontaire, incitative et positive. En particulier, elle doit toujours être soumise à l’approbation de l’individu ou du collectif à l’origine de la donnée », complète Emmanuel François.
METTRE EN PLACE UNE TRAÇABILITÉ, OUI, MAIS PAS À N’IMPORTE QUEL PRIX
Une fois les modalités de la traçabilité mises en place, il est alors possible de déployer des solutions permettant un suivi très fin de la position des personnes. La société CAD.42, startup co-fondée par Jean-Philippe Panaget et Raphaël Garcia Brotons, tous deux diplômés de l’école d’ingénieurs ESILV, propose par exemple une solution logicielle (plateforme Web) et un écosystème IoT (tags) basés sur l’Ultra-Wideband (UWB). Ce standard de communication sans fil fait partie des plus précis au monde (quelques centimètres) et permet de s’affranchir des obstacles rencontrés (murs, objets de grande taille…).
Les dispositifs de CAD.42 s’appliquent habituellement aux chantiers de construction mais, en extrapolant, on peut imaginer pouvoir suivre en temps réel le nombre de personnes présentes dans un espace donné (une pièce, un hall, un parking…) et lancer des alertes quand le quota est atteint ou quand deux personnes sont trop proches l’une de l’autre.
De nombreuses autres technologies sans fil sont disponibles pour atteindre les mêmes résultats : le Li-Fi (utilisation de la lumière visible), le RFID (utilisation de marqueurs appelés « radio-étiquettes »), le Bluetooth combiné au Wi-Fi…
On peut aussi citer les solutions reposant sur la détection de mouvement. C’est le cas par exemple de la société Tevolys qui a développé un algorithme permettant de compter des personnes à partir d’un simple détecteur de mouvement. Ce capteur sans fil est autonome en énergie (alimenté par des panneaux solaires) et relié au réseau Ethernet du bâtiment.
MANIPULER SANS CONTACT CERTAINS OBJETS DU QUOTIDIEN
Grâce à ces technologies, n’importe quel utilisateur équipé d’un smartphone peut éviter de toucher certains objets manipulés par tout le monde, donc potentiellement infectés : poignées de porte, boutons d’appel des ascenseurs, interrupteurs lumineux. On est ici en plein dans ce que permettent la domotique et le smart building où les occupants interagissent en permanence – pour leur confort et leur bien-être – avec des bâtiments intelligents.
La manipulation des objets potentiellement infectés peut également se faire via des hologrammes. C’est le cas de Héfei, une ville du centre de la province de l’Anhui, en Chine, où des ascenseurs sont pilotés via des boutons sous forme d’hologrammes. Ces cabines d’ascenseur, installées dans certains hôpitaux et immeubles de bureaux, sont commercialisées par la société Anhui Easpeed Technology Co.
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LA QUALITÉ DE L’AIR, AUTRE POINT SENSIBLE
Dans les bâtiments du futur, la qualité de l’air sera elle aussi cruciale. Une récente étude chinoise a en effet montré que, dans un restaurant situé à Canton, la transmission du Covid-19 a pu être favorisée par le flux d’air généré par un climatiseur présent dans la salle, véhiculant par voie aérienne les gouttelettes que nous sécrétons tous lorsque nous parlons ou éternuons.
« La qualité de l’air va devenir stratégique. Même si vous vous trouvez dans une pièce avec très peu de personnes, s’il n’y pas d’aération, au bout d’un moment, la transmission d’un virus sera très difficilement évitable », note Emmanuel François (Smart Buildings Alliance for Smart Cities).
« Que nous parlions de qualité de l’air ou de smart building, il faut prendre conscience du fait que tous les bâtiments qui ne répondront pas, à l’avenir, à ces nouveaux critères seront déclassés. La valeur servicielle d’une construction deviendra bien plus importante que sa localisation. Hier, ces sujets étaient d’actualité mais ils vont devenir, demain, de véritables contraintes avec des conditions strictes d’application au niveau des lois et réglementations », ajoute Emmanuel François.
TÉLÉTRAVAIL + PRÉSENTIEL : VERS UNE HYBRIDATION DES MODES DE TRAVAIL
Avec le confinement, 40% des Français sont passés au télétravail, selon les chiffres de l’association nationale des DRH. « Nous assistons à une hybridation des conditions de travail où télétravail et présentiel vont se côtoyer pendant encore longtemps. Cela remet profondément en cause l’immobilier d’entreprise et les centres d’activité tels qu’ils existent aujourd’hui, avec des bâtiments figés, dédiés à une seule activité », analyse Emmanuel François.
Pour les particuliers, la présence d’une pièce « bureau » au sein de leur appartement ou de leur maison va se poser. « C’est la version ‘luxe’ de l’habitat. Je crois aussi beaucoup à la mutualisation d’espaces de télétravail à l’échelle d’un quartier. La rénovation va permettre de transformer certains espaces mais, parfois, on se rendra compte qu’elle coûtera trop cher par rapport à des solutions préfabriquées, hors site, proposant des modèles économiques différents tels que les forfaits ou la location. Cela va faire émerger de nouvelles entreprises, de nouveaux services », conclut Emmanuel François.