Interview – Pascal Auzannet : « Il faut sortir d’une démarche productiviste des transports »

Ancien Directeur de la mission de préfiguration du Grand Paris, auteur de rapports pour les gouvernements Fillon et Ayrault, ancien Président de RATP Smart Systems et auteur d’un livre intitulé « Les secrets du Grand Paris », Pascal Auzannet connait bien le Grand Paris et ses mobilités. Il analyse les conséquences de la crise sanitaire sur les modes de déplacement franciliens et propose un certain nombre de solutions.

Quels ont été les principaux effets de la crise sanitaire sur les modes de transport dans le Grand Paris ?

Nous avons assisté à une baisse de 30 à 40 % du trafic sur les réseaux de transport collectif. Avec la crise de la Covid, les Franciliens ont modifié leurs modes de déplacements notamment lorsque cela était possible aux heures de pointe pendant lesquelles les gestes barrières trouvent leurs limites. Le développement du télétravail y a aussi contribué.

Il est nécessaire d’étaler ces périodes de forte affluence sur toute la journée. Cela présente un intérêt non seulement sanitaire mais aussi économique car les exploitants de transports sont contraints de dimensionner les infrastructures pour répondre à la demande aux seules heures de pointe. Il faut effectivement tenir compte des contraintes techniques. Par exemple l’intervalle d’un métro ne peut être inférieur à 90 secondes. Cela coute excessivement cher à la collectivité. Donc, il y a potentiellement de réelles économies à réaliser.

Quid du vélo ?

Un autre effet visible de la crise, et non des moindres, a été l’augmentation exponentielle de l’utilisation du vélo. Aujourd’hui, cet usage semble stabilisé, il ne faiblit pas. Les « coronapistes », qui avaient vocation à ne pas rester, sont encore là et pour longtemps.

Le vélo a gagné en pertinence et en légitimité avec la crise sanitaire. Un déplacement mécanisé à Paris a une distance moyenne de 3,3 kilomètres : c’est tout à fait dans la zone de pertinence du vélo qui est aussi plus élevée s’il est électrique. Cette montée en puissance est une très bonne chose car elle participe à un partage de l’espace urbain beaucoup plus favorable aux collectivités.

Qu’entendez-vous par là ?

Pour les collectivités, le vélo participe à un meilleur partage de l’espace urbain. La régulation de l’espace urbain dans la chaine des déplacements est un enjeu majeur. Nous sommes en présence d’un stock de capital immobilisé très important. Il a donc un coût économique supporté par les collectivités publiques.

Et quand on parle de gestion des flux de transport, c’est un espace qu’il faut optimiser, au risque d’aller vers de plus en plus d’artificialisation des sols.

Auriez-vous un exemple concret ?

Prenons effectivement un exemple. La ligne 14 a une capacité horaire par sens de 40 000 voyageurs. Une voirie urbaine, de 3 mètres de large, avec une fonction circulatoire importante, peut transporter entre 1000 et 1 500 véhicules par heure. Mais pour une voie inter quartier ayant une vie riveraine, les niveaux sont plus bas : entre 400 et 600 voire plus faible encore si le quartier est très animé. Avec un faible taux d’occupation, de l’ordre de 1,1 personne. Si vous voulez faire passer autant de passagers qu’avec la ligne 14, il vous faut créer une voirie de 100 à 150 mètres de large ! La capacité de transport horaire du vélo est, quant à elle, comprise entre 4 000 et 5 000 personnes. L’efficacité du vélo au mètre linéaire est donc 4 à 5 fois supérieure à celle de la voiture, avec le même espace de voirie et pour des vitesses de déplacement équivalentes.

Qu’en est-il des autres moyens de transport ?

Le tramway possède un rapport de 1 à 8 par mètre linéaire par rapport à la voiture. Pour le bus, c’est un rapport de 1 à 2. En disant cela, je ne dis pas qu’il faut bannir la voiture. Elle a sa place dans le dispositif global. Elle possède ses zones et ses heures de pertinence, notamment aux heures creuses.

Les modes de transports doux sont donc à privilégier urgemment ?

Nous sommes en ce moment dans une période d’interpellation, de réflexion. L’enjeu est d’optimiser ce qu’on appelle depuis très longtemps la chaîne modale des déplacements. Il faut donc sortir d’une démarche productiviste du trafic pour mieux répartir les flux entre les modes de transport doux et les modes de transport de masse.

Là aussi, pourriez-vous illustrer votre propos avec un exemple ?

Prenez la ligne 13 du métro, ligne chroniquement saturée aux heures de pointe. S’il existe une piste cyclable qui longe cette ligne et que la météo est bonne, pourquoi ne pas favoriser par une tarification avantageuse, calculée en temps réel, l’utilisation des flottes de vélos ou de trottinettes en free-floating pour alléger le transport collectif ?

Nous disposons pour cela de tous les outils digitaux – applications mobiles, intelligence artificielle – pour que ce type d’optimisations puissent voir le jour.

Mais une volonté politique forte est nécessaire, dans toutes les communes du Grand Paris. C’est déjà le cas dans certaines d’entre elles mais il faut aller plus loin et tirer les enseignements de cette grave crise sanitaire.

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